"Parce que" s'inscrit dans une croisée des temps.
A la verticale un fil de réflexion sur l'être et l'essence,
dont émergent notamment la poésie du mystique allemand Silesius ("la rose est sans pourquoi"), la pensée du philosophe Martin Buber quant à la relation et à la réciprocité, et la notion de "résonance" du sociologue Hartmut Rosa.
A l'horizontale une lecture de nos présents pluriels,
d'hier à aujourd'hui, trop souvent et trop tristement réduits aux réifications quasi quotidiennes et à la façon dont elles font système, nourrie de :
— l'analyse de McKenzie Wark quant aux mutations pastoralisme/ capitalisme/ vectoralisme et à la ressource fondamentale du hack en tant que capacité de différenciation et de migration
— l'oeuvre de Hannah Arendt quant à l'essence du totalitarisme et à la différence primordiale entre fabrication et action
— et le plaidoyer de Cynthia Fleury pour le prendre soin et le "Verstohlen", tout "ce" qui ne peut nous être volé
L'intuition de départ est celle d'une mise en dialogue
des cultures européennes, sédentaires et errantes, pour passer des confrontations du XXème siècle au face à face, et évoquer la grande histoire par la "intrahistoria" (Miguel de Unamuno), la vie du quotidien dont on ne parle pas ou peu.
Histoire(s) portée par son élément eau tout à la fois matière énergie et espace, histoire(s) retranscrite de façon poétique par ses sons depuis l'aube de la révolution industrielle jusqu'à aujourd'hui, histoire(s) dite sous un angle politique par ses procédures de fabrication, de mécanisation, d'abstraction, de quantification, d'appropriation, générant une discrimination et une accélération toujours croissantes.
Au fil de cette histoire la sacralisation du primat comptable
et de la rationalisation à outrance a produit des séparations de plus en plus nettes, de plus en plus fragmentantes, à la fois physiques et symboliques : des dedans et des dehors, des inclus et des exclus ; en mêlant au sein de ces fragmentations vivant et non–vivant, humain objet rôle et fonction.
Federico Rahola démontre que ces formes–camps contenant les exclus existent formellement dès la fin du XIXème siècle — et plus récemment Nathalie Sarraute souligne que les étiquettes sont une forme de forme–camp.
Considérant cette perspective,
nous postulons que la typologie particulière de forme–camp que représentent les camps de concentration sont, en deça même des images et des idéologies qui nous font mettre l'insoutenable et l'autre à distance, une extrême d'un processus de traitement du vivant à réinscrire dans son continuum pour réellement clôturer ce par quoi on en est arrivé à élaborer des "traitements de la matière organique" — ainsi que les nazis désignaient ceux destinés à la solution finale, et ainsi que nous continuons collectivement à considérer le vivant et l'eau en particulier.
Le clôturer, et le faire devenir : transmuter ces empreintes persistantes au sein de nos quotidiens, réhabi(li)ter le symbolique qui nous meut et nous relie, redonner au déshumanisé un visage et non plus un dos, rendre possible et pleine la responsabilité et la réponse de chacun face aux enjeux actuels.
Aujourd'hui la focalisation sur le résultat formel ou quantifiable
se fait trop souvent au détriment du processus qui lui est vivant et n'est pas un arrêt ni un achèvement (dans les deux sens). Cette conception au départ économique s’est de fait infiltrée, via la numérisation et la vectoralisation des informations, dans tous les aspects du quotidien : "Pas seulement notre travail, pas seulement nos loisirs — quelque chose d'autre est transformé en produit ici : notre sociabilité, notre vie commune et ordinaire ensemble." (McKenzie Wark).
Le primat comptable tend de plus en plus à devenir un "sur–sens" (Hannah Arendt) qui ne peut que pétrifier les espaces et les ouverts et porter un terreau totalitaire, isolant et déshumanisant, excluant tout climat de soin, réduisant le vital à une fonction.
L'accélération ne peut remplacer l'élan vital,
le besoin de "natalité" — au sens arendtien de capacité à commencer quelque de chose de nouveau avec les autres — ne peut être satisfait par la consommation, la narcissisation ne peut se faire par l'assignation la réification et l'usage.
Nous avons besoin d'être mobiles, distincts, séparés et symbolisants dans le même mouvement, capables de hack ; nous avons besoin d'être reconnus en tant que personnes et en tant que tout(s) ; nous avons besoin de résonner avec le monde pour y construire notre place et devenir avec lui. Et nous avons besoin de ralentir pour y parvenir : revenir aux flux et aux cycles de l'eau.
"Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps",
écrit Giorgio Agamben. Et le recevoir, ce n'est pas chercher le noir mais la lumière. Chercher le processus et l'action contre la procédure et la fabrication. Chercher l'espace du "Ma", du "zwischen", du hack : l'espace du lien, du entre, du furtif, l'espace ouvert aux autres et à l'agir avec eux.
Chercher pour choisir le mot–principe "je–tu" contre le mot–principe "je–cela" (Martin Buber) : l'autre en tant qu'être et non en tant que fonction ou somme de fonctions, et aborder de même le vivant qui nous entoure et nous porte.
"Nous ne manquons pas de communication.
Au contraire, nous en avons trop. Nous manquons de création. Nous manquons de résistance au présent." (Gilles Deleuze)
Nous partons de cet axe, de cette verticalité de la résistance face aux horizon(talité)s des réseaux et des enjeux. Nous nous posons dans l'ancrage, le rythme lent, le rituel. Nous faisons place au silence, à l'entre, à la rencontre.
Nous créons avec nos outils de hack, d'effraction, d'ouvert.
— chant–récit, danse–théâtre, poésie–slam, nourris de registres contemporains, populaires, et classiques ;et d'oeuvres poétiques elles aussi diverses parmi lesquelles Léon Zack, Zbigniew Preisner et Paul Celan
— avec une oeuvre plastique évoquant tout à la fois le flux, l'accumulation, la continuité, et l'exploration d'un quotidien proche ou étranger
— et une proposition vidéo/ écriture contemporaine accueillant et formant le lieu de l'ouvert
"Parce que", manifeste de l'eau de l'être et du devenir
Pour renouer les fils du présent et du temps à celui de l'eau, cet élément à la fois symbolique et concret, riche de polyvalences en même temps que base essentielle du vivant, qu'on peut former momentanément mais non transformer fondamentalement.
Pour nous susciter, nous situer, nous inciter à une position de création et de recréation de soi et du vivant, global et digne.
Pour offrir à saisir par l'expérience sensible de ne plus nous (perce)voir comme une structure achevée devant correspondre à un modèle mais comme un "en devenir" permanent, être en lien parmi d'autres êtres et avec eux toujours fluant.