Moi, Dordogne...
A peine mes pieds émergent de l'enfance, à peine mes bras explorent l'adolescence, déjà je m'inquiète. J'espère, que mon déclin ne va pas si tôt venir.
Parce que je me sens préservée je peux parler, mais je m'inquiète du soin que vous portez à mes soeurs–rivières. Ces déversements, ensablements, ces pollutions et ces pillages, ces creusements et ces barrages, vous nous traitez, vous vous traitez, comme des choses déjà mortes et coupées du vivant.
Toutes ces nouvelles qui m'arrivent par mon chevelu d'affluents m'affolent.
Tellement, voici, je me lève de mon lit, pour vous redire, vous rappeler la force de notre histoire commune, à sèves et à sangs liés, irrémédiablement, nous ne pouvons pas ne pas nous comprendre nous sommes parents.
Pour vous chanter, vous raconter, ce que vous avez déposé sur mes rives et mes peyrats, depuis que vous êtes là.
Ce que vous avez confié à mes flots clairs et à mes fonds noirs, des Pétrocoriens jusqu'aux Périgourdins, les petites histoires et la grande Histoire.
Ce qui se clame bien fort et ce qui se dit tout bas, les colères, les joies, les amours, les amitiés et les retours. Les gens de terre et les gens de rivière, les guerres et les commerces, les douleurs et la paix...
Moi, Dordogne, tout cela je l'ai écouté, récolté, bercé, rincé, j'en ai lavé la souffrance et fait reluire la joie, pour vous le rendre doux comme un drap propre et neuf, à étendre et à claquer au vent joyeusement, appelant les noces et les fêtes.
Et pour le reprendre, plus loin, plus tard, de nouveau souillé, de nouveau lavé, sans fin, en un éternel recommencement.
Et ma robe s'est faite de ces draps, de toutes ces couleurs de tendresses et de tempêtes.
Allez venez, filons, plongeons dans le conte : si cette eau était de lait et cette barque de cannelle, je m'en irai pêcher l'amour de celle qui à la fenêtre de la tour appelle.