A la noël 1939, vous avez la drôle d'idée de faire venir six cents sapins des Vosges par le train. Moi qui ai longtemps descendu les flottes de châtaigniers du Limousin, je ne comprends pas.
Mais fin juin 1940, je comprends : vous avez signé l’armistice, nous sommes en zone libre, les réfugiés affluent, racontant la vie sous l'occupant.

Au fil de la guerre je vois vos camps se faire, se déchirer, et se refaire. Comme dans toutes les guerres, mais cette fois–ci les lignes de fractures creusent plus loin : qu'est ce qui définit le fascisme? Qui sont les hommes libres? Comment établir l'inviolabilité du vivant?

L'irruption allemande en novembre 1942, le Service du Travail Obligatoire, et les pénuries, renforcent la Résistance. Notre berceau commun abrite dès lors près de deux cent cinquante maquis. Les résistants sont aussi résistantes, femmes, mères, soeurs, fiancées, menant discrètement leurs deux vies de front comme si de rien n'était.
Et les trains circulent désormais sous garde allemande, chargés de vivants qui deviendront cendres. Et mes soeurs–rivières se taisent elle sont figées, non de froid mais d'effroi de tant d'inhumanité.

Face à l'impensé il s'agit de nommer, de saisir ce par quoi on peut s'échapper, de briller pour ne pas s'étouffer. Luc Dietrich à ma source, tout en soignant les enfants malades, confie à mes eaux "Oui, le monde se creuse pour celui qui résiste. Les herbes luisent au–dessus de lui comme la multitude de ses beaux jours futurs. Les troncs ouvrent le chemin de l'ascension. En résistant, il marque les distances et il les crée."

Et Aragon, Aragon réfugié à Ribérac y découvre le troubadour Arnaut Daniel, et avec lui la morale courtoise, inventée par esprit de résistance à la barbarie féodale.

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